— Tribune

Sheila Watt-Cloutier

Militante écologiste, ancienne Présidente du Conseil circumpolaire inuit

Dans la culture inuit, les moments difficiles ont toujours été l’occasion d’enseigner l’autonomie à nos enfants, tout en développant leur personnalité et leurs qualités humaines. Notre culture appréhende cet enseignement, à la fois technique et personnel, de façon holistique. Savoir lire les conditions météorologiques et l’état de la glace, apprendre à chasser ou à coudre, c’est en même temps comprendre que la survie de la famille dépend de la faculté de chacun à rester concentré et du soin qu’il met à sa tâche. Mais cette sagesse, qui prend ses racines dans la glace et dans la neige, est aujourd’hui menacée.
Jusqu’à présent, comme l’environnement et le climat étaient prévisibles, nous pouvions en apprendre beaucoup ; nous en avons une connaissance intime, transmise de génération en génération.

Mais aujourd’hui, il est devenu impossible de se reposer sur ce savoir. Tout change, et change vite. La mondialisation affecte fortement l’Arctique et ses peuples, influence notre santé, notre culture, notre environnement et notre climat. Tandis que la glace fond, la sagesse que nous y avions puisée menace de fondre avec elle.

Tout est lié dans notre monde, nous partageons une même atmosphère, un même esprit, une même humanité. Ce qui touche un autre nous concerne tous. Alors que la banquise arctique fond, d’autres régions du monde, comme les petits États insulaires en développement, sont en train de se noyer. L’Arctique est le système de refroidissement de la planète, son air conditionné, en quelque sorte. Plus il se dégrade, plus le reste du monde en souffre : sécheresses, inondations, tornades, ouragans… Des fermiers australiens aux pêcheurs du Golfe du Mexique, en passant par les habitants de la Nouvelle-Orléans et de l’Oklahoma, cette vague destructrice déferle partout.

Le changement climatique en Arctique n’est pas simplement un problème écologique avec quelques conséquences économiques malheureuses. C’est une question de subsistance, de survie individuelle et collective. Il s’agit ici d’un enjeu qui concerne l’humanité toute entière, nos enfants, nos familles et nos communautés. L’Arctique n’est pas une terre sauvage ou une dernière frontière qui attendrait d’être exploitée une fois de plus. C’est notre terre et notre patrie.

Nous, les Inuit, sommes les plus affectés par les conséquences catastrophiques de la mondialisation alors même que notre peuple n’en fait même pas vraiment partie. Pendant des millénaires, nous avons vécu de façon durable et respectueuse de l’environnement, loin des polluants et des gaz à effet de serre, et c’est aujourd’hui nous qui en subissons les plus lourdes conséquences. C’est à la fois ironique et extrêmement triste.

Cela fait trop longtemps que nous demandons au monde d’arrêter de nous blesser et de saccager nos modes de vie. Cela fait trop longtemps que le monde nous répond que cela coûterait trop cher. On demande aux Inuit de payer le prix de choix non viables que d’autres veulent maintenir.

Tous profitent des bienfaits climatiques de l’Arctique. Tout est lié. La croissance économique mondiale ne pourra être durable que si elle prend en compte l’importance et la valeur de l’Arctique.

Aujourd’hui, les débats autour des questions économiques et techniques sont souvent stériles et appellent toujours de nouveaux délais. On nous rappelle en permanence à quel point la réduction des émissions de gaz à effet de serre serait préjudiciable à l’économie. Je pense qu’il faut sortir de ces schémas et se concentrer avant tout sur les droits de l’Homme. Il faut que le moteur du changement soit avant tout éthique. Car cela fonctionne ! Je l’ai remarqué dans mon engagement : souligner les conséquences du changement climatique en Arctique sur notre environnement, notre culture et, finalement, nos droits fondamentaux, a un réel impact. Les gens y adhèrent et accueillent notre travail avec enthousiasme. Pourquoi ? Parce que l’on appréhende plus facilement ces questions quand on peut les ramener à une échelle humaine.

Recentrer le débat sur la question des droits humains fondamentaux et sur le lien qui existe entre le changement climatique et la vie des populations permet de placer le curseur au niveau de l’humanité et non plus exclusivement de l’économie.
Je crois qu’il faut repenser les enjeux du débat sur le climat.
Défendre, avec les Inuit, le « droit au froid », c’est admettre ce lien, c’est reconnaître que nous sommes tous inextricablement connectés par ce droit humain fondamental.

200 pages
Broché – Bandeau poster
ISBN : 978-2-9551448-3-1

19 €

Version numérique

9 €

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Au sommaire

Sur les plus hauts sommets du monde avec Reinhold Messner, la course aux pôles, Harry Gruyaert, Jean-Louis Étienne et l’appel des blancs déserts, Luc Jacquet : les pôles, caméra à l’épaule, le gospel de Jack London, Jean Jouzel et l’histoire du climat, rencontre sous le soleil de Laurent Gaudé, Patrice Franceschi, Jean Malaurie, Gustave Flaubert, la mer gelée…

Éric Canobbio, géographe

Pommes d’une discorde diplomatique, les territoires polaires sont un enjeu stratégique majeur depuis le début du XXe siècle. Entre opportunités scientifiques, accès aux ressources naturelles et menaces planant sur les populations autochtones, l’état des lieux géopolitique des deux pôles reflète des réalités asymétriques.

Jean Jouzel, paléoclimatologue et glaciologue

Des ambitions des premiers explorateurs du XIXe siècle aux recherches actuelles des scientifiques, l’Antarctique est un sujet d’étude qui ne cesse de révéler des informations importantes sur le passé lointain de la Terre. C’est là en effet que les climatologues peuvent, grâce aux forages, connaître l’histoire du climat. Les carottes deviennent les pièces d’un puzzle millénaire dont le mystère se dévoile au fil des avancées technologiques.

Entretien avec Jean Malaurie

Premier homme au pôle géomagnétique Nord, géomorphologue ayant partagé le quotidien des populations Inuit, découvreur de l’Allée des baleines, Jean Malaurie est ambassadeur de bonne volonté pour l’Arctique à l’Unesco, fondateur et président de l’Académie polaire d’État à Saint-Pétersbourg. La question du sens toujours au bord des lèvres, l’ethno-historien discute avec recul des fondements de son engagement anthropologique aux cotés des hommes du froid.

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