— Tribune

Claire Nouvian

Fondatrice de l’association BLOOM

Les océans constituent le plus grand réservoir de biodiversité au monde. Les eaux profondes abritent d’innombrables espèces, molécules et gènes tous plus fascinants ou prometteurs les uns que les autres. Ces organismes ont évolué dans des conditions extrêmes.

Leur valeur patrimoniale est inestimable et ils ont tout à nous offrir : l’incroyable aventure intellectuelle de découvrir leur existence et de comprendre leurs mécanismes d’adaptation physiologique, des traitements médicinaux et des procédés biologiques novateurs. Sans parler des services indirects qu’ils nous rendent, tels que la séquestration chaque année de millions de tonnes de carbone.

Ce milieu obscur, riche mais fragile n’a longtemps intéressé que les explorateurs et les biologistes marins. Aujourd’hui les grands fonds océaniques servent tour à tour de zone de pêche, de dépotoir pour déchets radioactifs, de cimetière pour armes de guerre chimiques et de source de minerais dont dépendent les technologies de pointe et les technologies « vertes » comme le photo-voltaïque. Mais à quel prix ? L’extraction minière génère des nuages de sédiments et de métaux au-dessus du fond, dans la colonne d’eau et en surface, asphyxiant ainsi les communautés biologiques et altérant les flux chimiques. Autant de phénomènes aux conséquences inconnues.

Qu’on se le tienne pour dit : l’exploitation des océans profonds ne pourra se faire qu’à l’aveugle. Le retard de la science par rapport à la rapidité d’épuisement des réserves minières est critique. Depuis les années 1980, l’épuisement des stocks de poissons près des côtes a poussé les navires de pêche à exploiter des zones de plus en plus éloignées. Les fonds marins se sont retrouvés confrontés à la redoutable efficacité des technologies de pêche les plus avancées, telles que le chalutage profond, méthode décrite par les chercheurs comme « la plus destructrice de l’Histoire ».

Les filets de chalutier, lestés de lourds panneaux d’acier, raclent tout sur leur passage et ne laissent qu’un sol vaseux là où se trouvaient quelques secondes auparavant des communautés de coraux et d’éponges pluricentenaires. Pour trois espèces commercialisables remontées, une centaine est rejetée morte à la mer, dont des requins profonds menacés d’extinction. La pêche profonde au chalut est subventionnée, déficitaire et très peu génératrice d’emplois.

Près de 900 000 citoyens ont signé la pétition de BLOOM pour faire interdire cette technique de pêche. Malgré cela, l’Union européenne n’a pas encore acté l’interdiction du chalutage profond, notamment sous la pression de la France qui a choisi de défendre une poignée de navires industriels.

Nous n’avons pas à sacrifier l’intégrité des habitats marins et terrestres, avec toutes les ramifications écologiques qui en dépendent, pour manger quelques poissons chargés de métaux lourds ou pour fabriquer un smartphone. Tôt ou tard, nous toucherons les limites physiques et biologiques de la planète et serons alors sommés de « muter vers une économie de la sobriété ou de la frugalité »¹.

Pourquoi attendre d’être au pied du mur pour opérer les mutations nécessaires ? Le prix à payer sur notre biosphère est bien trop élevé. Ainsi que l’écologiste Aldo Leopold l’avait compris dès 1946, l’arbitrage de la société devra se faire en fonction des valeurs auxquelles elle est attachée : « Nous sommes maintenant confrontés à la question de savoir si un « niveau de vie » encore plus élevé justifie son prix en êtres sauvages, naturels et libres. Pour nous, minorité, la possibilité de voir des oies est plus importante que la télévision. »

1. Philippe Bihouix. « Métaux, Comment éviter la pénurie ». L’Écologiste, n°33, Vol. ii n°3, hiver 2010.

200 pages
Broché – Bandeau poster
ISBN : 978-2-9551448-3-1

19 €

Version numérique

9 €

Playlist Abysses

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Au sommaire

Le réchauffement climatique avec Claude Lorius, visite du Seaorbiter de l’architecte Jacques Rougerie, Internet au fond des océans, Jean-Christophe Rufin, Mallory et Irvine sur l’Everest, Patrick Deville, Curiosity à la conquête de Mars, Jules Verne…

Christine Laverne, géologue

En 1872, la frégate anglaise HMS Challenger part pour plusieurs années d’exploration. Le but de cette première campagne océanographique : mesurer la profondeur et draguer le fond des océans afin de récolter roches et organismes. Cette mission est le début d’une quête au long cours : percer le mystère des abysses. Ceux-ci sont restés longtemps moins connus que la surface de Mars ou de la Lune ! Du sondage au fil aux sources hydrothermales, c’est plus d’un siècle de techniques et de découvertes qu’offre le voyage dans les abysses.

David Fayon, essayiste et administrateur des postes et télécommunications.

Colonne vertébrale méconnue du réseau Internet, les câbles sous-marins, plus rapides que les satellites, permettent 99 % du trafic international de données ! À l’heure du « big data », où chaque octet vaut de l’or, puissances politiques et multinationales les surveillent de très près. Plongée dans un monde caché.

Rencontre avec Jacques Rougerie

Et si la mer était l’avenir de l’homme ? C’est le credo de l’architecte Jacques Rougerie, spécialiste de l’habitat sous-marin et rêveur pragmatique. Pionnier dans sa discipline, il travaille depuis plus de trente ans à la création de submersibles et de bâtiments dédiés à la vie sous-marine. Cet homme qui a déjà fêté Noël sous la surface ou plongé aux côtés de Jacques-Yves Cousteau s’investir aujourd’hui dans un nouveau projet, le SeaOrbiter, véritable vaisseau permettant à la fois d’habiter, d’étudier et d’explorer les espaces immergés. Entretien avec un mérien convaincu.

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