— Tribune

Désertification : la part de l’homme

Gilles Ramstein

Les déserts, comme les océans, nous touchent d’abord par leur immensité. Ils s’étendent aux confins de l’horizon et leur taille leur confère une image de grande stabilité. Au-delà de leurs dimensions, il y a leur temps. Pendant des milliards d’années, les déserts étaient partout sur toutes les surfaces continentales, la vie étant exclusivement confinée dans les océans. Car, si ses premières traces remontent à près de 3,7 milliards d’années, celle-ci ne s’est hissée à terre que très tardivement. Au cours du Dévonien (entre -419 et -375 millions d’années), la biosphère terrestre a connu une intense diversification pour s’adapter à des milieux arides, faisant régresser les déserts à des zones plus circonscrites : dans les hautes latitudes froides, derrière des barrières rocheuses, près des courants océaniques froids, dans les zones tropicales desséchées par la subsidence d’air froid et sec. 

Depuis des centaines de millions d’années, les déserts se mettent en place, évoluent ou disparaissent au gré des mouvements de la tectonique : dérive des continents, déformation des bassins océaniques, surgissement d’immenses chaînes de montagnes… En à peine deux siècles, l’homme s’est hissé à son tour au rang de facteur déterminant du changement climatique. Il a transformé son environnement par la pression anthropique qu’il lui fait subir : déforestation – entamée bien avant les révolutions industrielles –, développement de l’agriculture intensive, exode rural, urbanisation… Tous ces comportements engendrent une dégradation des sols et donc une désertification. 

Le réchauffement climatique frappe directement les zones désertiques en réduisant à terme les déserts froids par la fonte des calottes et en élargissant les déserts chauds dans les tropiques et les zones tempérées. L’Atlas mondial de la désertification montre que la superficie du Sahara s’accroît sensiblement, avec d’importantes variations saisonnières et une augmentation maximale d’environ 16 % en période estivale. De manière générale, on s’attend à une extension des déserts subtropicaux vers les plus hautes latitudes, par exemple vers le nord pour le Sahara. En effet, les cellules de Hadley, moteur de la dynamique tropicale, ont tendance à s’élargir sous l’effet du réchauffement. Mais l’extension des déserts, comme celle du Sahara vers le Sahel au sud, est aussi très liée à des perturbations hydrologiques complexes. Ainsi, l’immense bassin versant du lac Tchad draine de moins en moins d’eau et, sur le long terme, le lac lui-même régresse. 

Dans Méharées (1989), Théodore Monod écrit : « La baie du Lévrier [au nord-ouest de la Mauritanie] est la ligne ténue entre ces deux océans, celui de l’eau et celui des sables : l’Atlantique et le Sahara. » Dans ce face-à-face immémorial, la place de l’homme est infime. Nous avons pourtant fait naître un monde de 7 milliards d’humains capables de perturber gravement ces deux espaces immenses. 

Le rapport spécial du GIEC publié en août 2019, consacré au changement climatique et aux terres émergées, dresse un constat alarmant de l’évolution climatique des zones arides et de l’augmentation de la désertification, qui dans des régions déjà vulnérables entraînera inévitablement des migrations humaines, du fait de la perte de zones cultivables. En outre, les populations concernées ont encore une démographie forte alors que leurs ressources se tarissent et que leur résilience face à la multiplication d’événements extrêmes (tempêtes de poussière, épisodes caniculaires…) diminue. Plus d’un milliard de personnes vivant dans cent pays sont directement menacées, et les plus pauvres sont évidemment les plus vulnérables. 

La question est donc de savoir quelles actions nous saurons prendre et à quelle vitesse. Si nous souhaitons vivre dans des conditions dignes, il importe que nous réduisions ensemble par tous les moyens notre consommation des énergies fossiles et notre empreinte écologique. 

184 pages
Broché
ISBN : 978-2-38036-008-0

19 €

Version numérique

9 €

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Au sommaire

Dossier Déserts : la longue marche des déserts, imaginaire et mythes des déserts, vents de crises sur le Sahara, entretien avec Philippe Frey, extraits littéraires illustrés, infographies, conseils de lecture, de films, de musique… 

Hors dossier : atlas des comètes, cartes anciennes, héros hier et héroïnes aujourd’hui, entretien avec François Couplan, portfolios, aparté avec Baptiste Morizot, anarchisme ou l’écologie de la liberté, histoire du piment, planches naturalistes, roche, portrait d’Alexander von Humboldt, agenda culturel, correspondance, poème et récit illustrés. 

Gilles Ramstein, paléoclimatologue

Tous les déserts ne sont pas chauds, tous ne sont pas loin de la mer et tous n’ont pas toujours été arides. La grande histoire des immensités désertiques est une suite d’apparitions, de disparitions et de transformations, sous l’influencedes mouvements de la Terre, de la tectonique des plaques et des cycles hydrologiques. Le paléoclimatologue Gilles Ramstein y ajoute celle que l’impact humain est en train d’y opérer.

Bruno Doucey, écrivain et éditeur

Aventuriers, mystiques, militaires avides de conquêtes, savants ivres de découvertes, géographes amoureux de terra incognita, naturalistes, poètes, méharistes, baroudeurs, sportifs des sables ou simples touristes, nombreux sont ceux et celles pour qui le désert est l’espace de la quête et du dépassement de soi. Foi de Bruno Doucey, écrivain et éditeur de poésie.

Bruno Lecoquierre, géographe et chercheur

La plus grande zone aride de la planète est habitée par autant d’habitants qu’elle couvre de km2 : plus de 8 millions. Mais, pour le géographe Bruno Lecoquierre, les villes engorgées de ses rives, les conflits récurrents entre nomades et sédentaires, les crises dans les pays qui se la partagent, les flux migratoires qui la traversent et la violence des djihads et des mafias qui la sillonnent en font aussi un des points chauds du globe. 

Philippe Frey, ethnologue et aventurier

Docteur en ethnologie, Philippe Frey a traversé tous les plus grands déserts de la Terre, sauf les plus froids. Le plus souvent seul, avec un minimum d’équipement et des techniques de survie aussi rustiques qu’éprouvées, il a échappé à mille morts, promises par le soleil, les maladies ou les hommes, et son expérience unique lui permet de dissiper nombre d’illusions et d’idées reçues. 

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