— Tribune

Éric Julien

Géographe, fondateur de l’ONG Tchendukua – Ici et ailleurs

Au nombre de 15 000, les Indiens Kogis sont les derniers héritiers des grandes sociétés précolombiennes du continent sud-américain. Repliés dans les hautes terres de la Sierra Nevada de Santa Marta, massif côtier le plus haut du monde, ils tentent de préserver les grands équilibres de la « mère terre », dont ils se considèrent les gardiens.

Pilleurs de tombes, trafic de cocaïne, exploitation de bois précieux, tourisme, pillage des connaissances ancestrales… face aux multiples agressions dont ils sont victimes, les grands frères, comme ils se nomment, tentent de nous alerter.

« Aujourd’hui, la terre est malade, la nature est malade ; si nous ne faisons rien, nous allons disparaître, prévient Arregoces Coronado. Le message que nous envoyons à la nature est un message de violence et de destruction. Nous lui disons “nous ne voulons plus de toi, nous voulons abréger notre histoire”. C’est cela que nous lui envoyons. Alors elle nous renvoie, ce que nous lui envoyons, de la violence et de la destruction. Des tremblements de terre, des inondations, un dérèglement climatique.

Si nous voulons essayer de soigner la terre, la nature, les protéger, c’est ensemble que nous devons le faire. Ce n’est pas une question kogi, française, ou suisse, c’est une question qui concerne toute l’humanité. »

Nous ne le savons pas encore, mais les sociétés « racines », dont font partie les Indiens Kogis, sont porteuses des clefs de notre avenir. Pour l’avant-garde agissante, les explorateurs de possibles déjà en chemin, elles offrent la chance d’élargir le regard, de retrouver l’essentiel, pour tenter de distinguer dans l’horizon d’autres formes de compréhension du monde, d’être et de vivre ensemble. Au nombre de 300 millions et répartis dans 77 pays, ces « Invisibles », comme les nommait René Char, sont les derniers témoins d’une période historique pendant laquelle les humains se devaient de vivre en alliance avec la nature. Pas tant par choix, que parce qu’ils n’avaient pas d’autres alternatives pour survivre.

À travers le temps, et selon les spécificités propres à chaque espace géographique – montagne, désert, forêt –, ils ont développé des imaginaires sociaux. Qui se caractérisent par : l’apprentissage du monde vécu comme un tout, où l’humain n’a qu’une place parmi d’autres ; l’altérité comme principe de vie ; et la violence comme une menace qu’il convient de tenir à distance. On pourrait appeler cette période de l’histoire humaine, la plus longue, le premier monde.

Avec le Siècle des lumières, l’accélération du développement et l’augmentation de la population urbaine, qui atteint aujourd’hui 60 % de la population mondiale et 80 % de la population dans les pays du Nord, est apparu le deuxième monde. Un deuxième monde qui, dans son illusion de toute puissance, a réduit la nature au rang de paysage, terrain de loisir ou source inépuisable de matières premières. Les déséquilibres se sont multipliés, qu’ils soient psychiques, environnementaux ou économiques.

Ils font tenir ces propos au sociologue Edgar Morin : « Nous sommes dans un véhicule emballé, sur lequel nous n’avons plus de contrôle et qui fonce droit dans le mur. » S’il est impossible de revenir au premier monde, il n’est pas possible non plus de rester dans le deuxième. Nous sommes confrontés à l’urgente nécessité d’inventer un troisième monde, où nature et modernité auraient retrouvé des chemins d’alliance.

En cela, les peuples « racines », dont font partie les Kogis, peuvent nous aider, eux qui n’ont jamais perdu ces relations avec la nature. Réinvestir notre modernité, à la lumière des connaissances et de la manière d’être au monde des peuples racines, pour donner naissance à une « éco-modernité », voilà l’enjeu.

Selon Marco Barro, shaman Kogis : « Seuls, nous ne pouvons pas protéger la Terre, ensemble nous pouvons faire quelque chose. Pour cela, il faudrait que nous puissions dialoguer, nous respecter, pour voir ensemble, ce que nous pouvons faire. Il n’est plus temps de parler, mais d’agir. »

Nous le savons, ce n’est pas avec les outils, les manières de penser qui nous ont conduit aux impasses du deuxième monde que nous arriverons à faire surgir ce troisième monde. Il nous faut avoir l’audace de la rencontre, du dialogue avec l’Autre en général et les peuples « racines » en particulier, pour qu’émergent le non advenu, le non encore pensé. Nous avons besoin de cela, pour faire face aux grands enjeux de notre temps. Alors, peut-être, les paysages, redeviendront-ils pays-sages, l’aménagement se fera ménagement, et l’aventure humaine redeviendra vivante et créative, car solidaire de cette nature qui nous porte et nous fait vivre. »

200 pages
Broché – Bandeau poster
ISBN : 978-2-9551448-3-1

19 €

Version numérique

9 €

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Au sommaire

Francis Hallé, les derniers édens sur Terre, le chant des Achuar avec Philippe Descola, Thomas Pesquet à bord de la station spatiale internationale, les mille et une vies de Richard F. Burton, rencontre sans boussole avec Mathias Énard, les diamants du cœur de la Terre, Stéphane Dugast, John Giorno, tour du monde épicé avec Éric Birlouez, le voilier Tara en route vers le Pacifique…

Guillaume Lachenal, historien de la médecine

Très tôt, les tropiques furent un enjeu de taille pour la médecine coloniale. Une terre de fièvres et de miasmes, à subir avec tempérance, flegme et costume blanc. La découverte des microbes et des moustiques, à la fin du XIXe siècle, changea la donne : vaccins et insecticides transformaient l’ancienne « zone torride » en espace à conquérir et à exploiter, promis au progrès et à la prospérité. Au XXIe siècle, où en sommes-nous ? À l’heure des virus émergents, de la déforestation et des bidonvilles, les tropiques sont toujours dans le viseur des chasseurs de virus.

Francis Hallé, botaniste et biologiste

Pour celles et ceux qui s’y sont penchés de près, les régions tropicales sont les plus intéressantes sur Terre. Qu’il s’agisse d’astronomie ou de géophysique, de climat ou de variété des paysages, de faune ou, bien sûr, de flore, tout y est passionnant à l’extrême pour les esprits avides de découverte. Mais ce n’est pas tout : la stabilité annuelle de la longueur des jours permet d’explorer un champ de recherche encore très méconnu, celui de la chronobiologie humaine.

Evard Wendenbaum, explorateur et réalisateur, fondateur de l’ONG Naturevolution

Sous les tropiques, quelques lieux restent encore vierges d’intrusion humaine. Des massifs denses et inaccessibles, où même les populations locales ne s’aventurent que rarement… Pourtant, aujourd’hui, ces paradis intacts sont menacés par les industries environnantes. Parce que les risques s’accélèrent, il est désormais urgent d’inventorier les espèces inconnues et en danger, tout en développant, en parallèle, des politiques de préservation aux côtés des populations locales.

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