Avez-vous déjà vu un glacier de près ? Senti l’air fraîchir à son approche ? Chaussé des crampons acérés pour le parcourir à pas croustillants ? Caressé à main nue la glace bleue fondant au toucher ? Ressenti au fond de vous la vibration profonde produite par un pan de glace qui se décroche et tombe dans l’océan ? Les glaciers ont quelque chose de magique. Quelque chose qui nous dépasse, nous hypnotise, nous interroge. Depuis toute petite, enfant dans les Alpes, je suis obnubilée par ces paysages grandioses. Il n’a pas fallu beaucoup me pousser pour que j’entreprenne des études en glaciologie et que j’enchaîne les expéditions partout dans le monde. Je suis devenue glaciologue pour m’aventurer là où si peu avaient posé leur regard. Mais comme nous le montre Gilles Ramstein, être glaciologue c’est essayer de reconstruire le passé de notre planète tout en étudiant l’instant présent pour mieux définir ce qui composera notre futur. Lequel est intimement lié à l’avenir des glaciers.
Étudiante, j’ai appris que les glaciers sont parmi les meilleurs baromètres du climat. Favorables lorsqu’il fait froid et neigeux, misérables lorsqu’il fait chaud, sec ou pluvieux, ils ont le superpouvoir de « rendre visible l’invisible » : nous ne voyons pas augmenter les concentrations de gaz à effet de serre, mais en observant ce qu’il reste de la Mer de Glace à Chamonix, nous comprenons tous que le climat change. Les glaciers ne sont pas que passifs, ils entretiennent des écosystèmes uniques et constituent de véritables piliers de l’économie dans de nombreux pays. Châteaux d’eau naturels, ils permettent à 2 milliards de personnes d’avoir accès à l’eau douce et d’irriguer des cultures, produire de l’énergie, refroidir des centrales nucléaires. Bref, nous sommes tous concernés par la santé des glaciers, comme le constatent implacablement Étienne Berthier et Romain Millan.
Si les glaciers de montagne disparaissaient entièrement, le niveau des océans augmenterait de 30 cm environ. Cela peut paraître peu, sauf pour les nations insulaires du Pacifique. Les calottes polaires, glaciers géants du Groenland et de l’Antarctique, 33 changent la donne : si elles fondent, le niveau des océans pourrait s’élever de 65 m. Or, 700 millions d’entre nous habitent sur des littoraux, entre 0 et 10 m d’altitude. D’où l’urgence d’étudier glaciers et calottes polaires…
Les dernières publications scientifiques montrent qu’à partir de 1,5 °C d’augmentation de température sur Terre par rapport à l’ère préindustrielle, nous risquons de déclencher des mécanismes irréversibles sur des centaines, des milliers, voire des dizaines de milliers d’années. Ainsi, le point de bascule de la calotte polaire du Groenland – qui contient assez de glace pour augmenter le niveau des océans de 6 à 7 m – semble se trouver autour de 1,5 °C. Une fois ce seuil franchi, la calotte connaîtra une déstabilisation inarrêtable. Et le seuil semble le même pour l’ouest de l’Antarctique, la banquise de la mer de Barents et le pergélisol de l’hémisphère Nord.
Nous sommes entrés dans une phase de disparition des glaces de montagne et de grande déstabilisation des calottes polaires. À force de brûler des énergies fossiles, nos glaciers fondent, se retirent, certains sont déjà déclarés « morts ». Même si nous savons que l’avenir des glaciers tropicaux, des glaciers pyrénéens et d’une grande partie des glaciers alpins est sérieusement compromis, il est encore temps de sauver ce qui peut l’être. À nous de décider ce que nous voulons léguer aux générations futures : un monde avec ou sans glace. Un monde où les montagnes nous abreuvent, où l’océan ne grignote pas nos traits de côtes, ou bien un monde qui pousse nos capacités d’adaptation à leurs limites.
La bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas encore parvenus à ces fameux + 1,5 °C. Pour continuer à écrire l’histoire humaine des glaciers et permettre à nos enfants et à leurs enfants d’entendre leurs pas croustiller sur la glace, de s’émerveiller de ce monde étrange et de profiter d’une planète au climat stable, j’espère qu’à la lecture de ce Reliefs, chacun.e se posera une question simple, et pourtant si glaçante : « Que puis-je faire, maintenant que je sais tout ça ? »
Au sommaire :
Dossier Glaciers : l’histoire paléoclimatologique des glaces continentales et son influence sur les changements climatiques actuels par Gilles Ramstein, la formation des glaces et l’accélération de leur fonte en raison du réchauffement climatique par Étienne Berthier et Romain Millan, la découverte des traces laissées par les glaciers dans la peinture, la littérature et la bande dessinée par Frédérique Rémy, entretien avec Heïdi Sevestre, extraits littéraires illustrés, infographies, conseils de lecture, de films, de musiques…
Hors dossier : correspondance, atlas, cartes anciennes, héros et héroïnes d’hier et aujourd’hui, entretien avec Laurent Tillon, portfolios de Aurore Bagarry et de Yu Yamauchi, histoire de « l’or noir », le poivre par Éric Birlouez, portrait de Gary Snyder par Christophe Roncato Tounsi, agenda culturel, correspondance, poème et récit illustrés.
Gilles Ramstein,
paléoclimatologue
Glaciations et périodes interglaciaires dépendent de trois facteurs : le taux atmosphérique de CO2, les oscillations de la Terre autour de son axe et du Soleil, la tectonique des plaques qui dispose ses continents. Mais l’interglaciaire où nous vivons depuis 11 000 ans accueille désormais un intrus, le CO2 produit par les humains, qui menace de disparition rapide les calottes glaciaires et les glaciers. Et un fragile équilibre géologique et climatique bâti au long de millions d’années.
Étienne Berthier et
Romain Millan, glaciologues
Des plus petits glaciers de montagne aux deux calottes glaciaires, les glaces s’accumulent et s’écoulent naturellement, sous l’effet de la gravité et de la température. Mais la fonte de ces châteaux d’eau douce de la Terre s’est extraordinairement accélérée du fait du réchauffement climatique, comme le montrent les études sur le terrain, les satellites et les modèles numériques. Pronostic des glaciologues : pour la moitié des glaciers, c’est cuit.
Frédérique Rémy,
glaciologue
Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, l’exploration et l’interprétation des glaciers des Alpes, puis des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, ont exigé des pionniers venus de toute l’Europe un courage, une détermination et une science exemplaires, que la postérité n’a pas toujours reconnus mais qui ont laissé une trace ineffaçable dans la peinture, la littérature et la bande dessinée.
Heïdi Sevestre,
glaciologue
Pour la glaciologue intrépide qui a passé au peigne fin les glaces des Alpes, du Svalbard, de l’Antarctique et des tropiques, la situation des glaciers du monde, immenses stabilisateurs du climat et de la circulation océanique, se dégrade beaucoup plus rapidement que prévu, sous l’effet du réchauffement qui dérègle le cycle de l’eau et déclenche des évènements extrêmes affectant des milliards de Terriens. Foi de vigie, il est encore temps de s’y mettre…