— Tribune

Plaidoyer pour les sommets du monde

Bernard Amy

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Nombreux sont ceux qui ont décidé de s’investir dans la défense et la préservation de l’un des principaux éléments de la mince couche terrestre qui abrite la vie : l’ensemble des montagnes du globe. Les océans et les lacs couvrent à peu près 70 % de la Terre, laissant le reste aux terres émergées. Mais 24 % des continents sont constitués par des zones montagneuses d’altitude ! Si l’on admet que la montagne commence avec la pente et que pour émerger de la mer toute terre doit être montagne (une île n’est rien d’autre qu’un vertigineux pic sous-marin), on peut même affirmer que la surface terrestre est constituée de mers et de montagnes. On peut la considérer comme un ensemble de sommets émergeant d’une planète recouverte d’eau, ou comme une eau emplissant les creux d’une croûte terrestre boursouflée par les forces tectoniques… 

La montagne est devenue l’un des enjeux essentiels de la sauvegarde de notre milieu de vie. Écosystème rendu fragile par la rudesse des conditions climatiques et des phénomènes naturels, elle subit les effets des activités touristiques, de la production d’énergie, des aménagements excessifs et du réchauffement climatique. 

La première raison de protéger les montagnes est qu’elles constituent les châteaux d’eau des surfaces terrestres. Actrices déterminantes du cycle hydrologique, elles contribuent pour une large part à la production de l’eau douce nécessaire à la vie. Intercepté par les sommets plus froids, l’air humide circulant dans l’atmosphère se condense sous forme soit de pluie ou de neige (effet de foehn), soit d’écoulements souterrains (effet de foggara saharienne). L’eau douce ainsi générée est largement distribuée par les torrents et les rivières vers les fleuves, quand elle n’est pas stockée sous forme solide (neiges et glaciers), permettant ainsi une régulation naturelle de la disponibilité. 

Mais les enjeux quant à l’avenir des montagnes dépassent de loin les seuls problèmes hydrologiques et le partage planétaire des ressources en eau douce. C’est ce qu’ont déclaré en juin 2018 à Chamonix près de quatre cents représentants de tous les massifs du monde, à l’occasion de la 4e Sustainable Summits Conference. Dans le texte de présentation de la rencontre, les organisateurs écrivent : « Les hautes montagnes au même titre que les océans sont des biens communs de l’humanité qui revêtent une valeur symbolique très forte et sont porteuses d’enjeux pour nos sociétés […] Penser l’avenir des hautes montagnes, c’est penser l’avenir de l’humanité. » 

Un très ancien symbolisme accompagne l’altitude, la verticalité et l’ascension. Depuis que l’espèce humaine a quitté le rift africain et a franchi ses premières montagnes, ce symbolisme s’est profondément inscrit dans notre inconscient collectif. Depuis la nuit des temps, il a conduit les hommes à voir les montagnes comme des piliers unissant la Terre et le Ciel, et les sommets comme les demeures des dieux. Dans nos sociétés occidentales rationalistes, ces valeurs symboliques ont été progressivement tenues pour négligeables, voire rétrogrades. C’est ignorer la force des mécanismes d’interprétation inscrits dans notre esprit par la très longue phylogenèse de l’espèce humaine. Inconsciemment à l’oeuvre dans notre machinerie neuronale, ils gouvernent nos émotions et nos sentiments, et, là-haut, au-dessus du monde des hommes, permettent sans doute à chacun de se sentir plus fort et plus en accord avec soi-même. 

L’homme a fini par explorer le ciel, où il n’a pas trouvé les dieux. Son quotidien reste tout à fait terrestre. Et il continuera à chercher près de chez lui des lieux où revivre la naissance du monde et l’apaisement de l’alliance avec la création, des terres encore à peine foulées par ses semblables, comme les terres d’altitude. Région de hauteur à la fois physique, psychologique et spirituelle, la montagne mérite d’être préservée comme la plus haute pièce de notre oïkos, celle d’où la vue porte sur les beautés du monde, celle qui peut donner l’envie de sauver la maison des hommes.

NOUVELLE ÉDITION ACTUALISÉE
(+ 1 TIRAGE OFFERT)

184 pages
Broché
ISBN : 978-2-38036-120-9

19,90 €
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TIRAGE 18×24 CM SUR PAPIER D’ART
« Lagopède alpin et lagopède des saules »,
planche naturaliste
d’Henry Eeles Dresser (1880)

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Au sommaire

Dossier Sommets : course aux sommets, enjeux contem­porains, faune et flore d’altitude, entretien avec Bernard Amy, extraits littéraires illustrés, histoire de la conquête des sommets, espèces en danger, les plus hauts sommets, conseils de lecture, de films, de musique…

Hors dossier : atlas des nuages, cartes anciennes, héros d’hier et d’aujourd’hui, entretiens, portfolios, planches naturalistes, trésors photographiques, portrait d’Élisée Reclus, agenda culturel, correspondance, poème et récit illustrés…

Yves Ballu, docteur ès sciences,
écrivain et alpiniste

Depuis qu’il y a des montagnes, il y a d’innombrables hommes pour les vénérer et quelques-uns pour oser les escalader. Yves Ballu, docteur ès sciences, écrivain et alpiniste, retrace l’histoire de ces rêves fous et de leurs accomplissements extraordinaires depuis cinq siècles au moins. Qu’elle se joue pour la science, pour l’orgueil, pour l’exploration ou pour la nation, cette compétition du toujours plus haut toujours plus vite, malgré ses risques et ses morts, repose sur un principe fondamental : le déni de l’impossible. Et comme on sait, celui-ci n’a pas de limites…

Christophe Gauchon, géographe et
professeur des universités

Géographe des montagnes et du monde souterrain, du tourisme et des espaces protégés, Christophe Gauchon fait un tour d’horizon des lignes de crête du monde, depuis que les hommes les escaladent et maintenant que les masses les parcourent en tous sens. Si peu de sommets restent à conquérir, beaucoup de choses y changent, à commencer par le regard et le respect que nous devons leur porter.

Christian Couloumy, écrivain et
spécialiste des animaux des montagnes

Naturaliste et chef de secteur au Parc national des Écrins durant plus de quarante ans, Christian Couloumy parle avec autant de science que de passion de son amour des hauteurs, havres d’une vie animale et végétale extraordinairement rude, créée par les dernières glaciations et mise en péril par le récent réchauffement climatique. Pour le voir et le comprendre de plus près, il faut y monter !

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